Après avoir parcouru la route du vin et du singani la veille, j’ai décidé de suivre à nouveau les conseils d’une amie bolivienne et de vivre l’expérience premium de la Bodega Aranjuez, l’une des plus anciennes et plus réputées de Tarija, dans le sud de la Bolivie. Cette maison familiale est connue pour avoir obtenu la plus grande distinction jamais remportée par un vin bolivien, et je comprends désormais pourquoi. Tout y est : un cadre superbe, un accueil professionnel, des explications claires et passionnantes, et bien sûr des vins remarquables. Le tout pour 200 bolivianos ; une somme franchement modique pour une expérience aussi complète.
La Bodega Aranjuez : entre tradition et modernité
La visite commence au cœur même de la bodega, là où tout a commencé en 1976, lorsque Milton Castellanos décida de se lancer dans la production de vin. À l’époque, il achetait ses raisins à des producteurs locaux. Ce n’est que plus tard qu’il plantera ses propres vignes, posant ainsi les bases de ce qui allait devenir l’un des fleurons viticoles de Bolivie.
Aujourd’hui, la bodega allie charme colonial et modernité. Les bâtiments d’accueil sont d’un blanc éclatant, les bureaux élégamment décorés, tandis que les installations de production impressionnent par leur propreté et leur technicité.



La visite est bien rythmée : on commence par la salle des cuves de fermentation, où l’on apprend les différences de traitement entre les vins rouges, blancs et rosés — température, durée, oxygénation… tout est passé en revue. Dans la pièce suivante, de grandes cuves en acier inoxydable côtoient des cuves en béton, vestiges du savoir-faire d’antan. On comprend alors à quel point l’équilibre entre tradition et technologie est important pour Aranjuez.
On poursuit ensuite avec la zone d’embouteillage et le contrôle qualité, avant d’arriver dans une cave majestueuse, baignée d’une lumière dorée. Des rangées de tonneaux en chêne et des centaines de bouteilles s’y reposent sagement. L’endroit respire la patience et la passion.






C’est ici qu’on nous raconte l’histoire de la famille Castellanos, pionnière du vin en Bolivie. Avant de partir pour la finca, un premier plaisir nous attend : une copa de vino blanco offerte, accompagnée d’une mini-leçon de dégustation. Un excellent moyen d’éveiller ses papilles avant la suite du voyage.

La Finca El Origen : un havre au cœur des vignes
Après un trajet d’une vingtaine de minutes (18 km environ), nous arrivons à la Finca El Origen, le domaine viticole de la famille Castellanos. Le portail franchi, on découvre un vaste domaine entouré de vignes parfaitement alignées et de collines qui semblent onduler jusqu’à l’horizon. Les bâtiments, au style colonial élégant, se détachent sur un ciel d’un bleu éclatant. On pourrait presque se croire en Toscane — et pourtant, nous sommes bien en Bolivie !






On fait un détour par une petite chapelle nichée au cœur du domaine : vingt-six couples s’y sont déjà mariés, nous raconte fièrement notre guide.


Le Tannat et la maison Aranjuez : une histoire de famille et de terroir
C’est l’un des petits-fils des fondateurs, aujourd’hui œnologue et responsable de l’œnotourisme, qui nous accueille à la Finca. Son récit est captivant. Il nous apprend que la première vigne de cépage Tannat de Bolivie a été plantée ici, le 10 novembre 1999, par son grand-père.
Le Tannat, cépage originaire du Sud-Ouest de la France, s’est révélé être une véritable bénédiction pour les terres d’altitude de Tarija, perchée à 1 800 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette altitude exceptionnelle, combinée à un climat sec et ensoleillé, donne des vins puissants, aromatiques et élégants.
Personne ne s’y attendait, et pourtant : quelques années plus tard, le Juan Cruz Tannat Grand Reserve, premier grand vin haut de gamme d’Aranjuez, remportait la Grande Médaille d’Or en Uruguay lors de sa première participation en 2013. Une première historique pour la Bolivie !






Petite anecdote : le vin devait initialement porter le nom du fondateur, mais Milton Castellanos refusa, préférant le dédier à Juan Cruz, le plus ancien employé de la maison, en hommage à l’esprit d’équipe.
Aujourd’hui encore, ce vin symbolise la réussite collective et l’humilité de la famille Castellanos.
Depuis, le Tannat est devenu le cépage emblématique de la Bolivie, et le 11 novembre est désormais célébré comme le Jour national du vin Tannat. Une belle reconnaissance pour ce pays que l’on n’associe pas toujours au vin, mais qui gagne à être connu.
La dégustation : un cours d’œnologie grandeur nature
La dégustation a lieu dans une superbe salle lumineuse, tout en bois clair et en pierre naturelle.
Notre guide, toujours aussi passionné, nous propose un véritable parcours sensoriel à travers les cuvées emblématiques de la maison.



Chaque verre est l’occasion d’apprendre à observer la robe, sentir les arômes et comprendre les accords mets-vins. On découvre à quel point la température, l’aération ou la nature du fromage peuvent transformer la perception d’un vin.
Première série : les vins de découverte
- Dúo blanc (Chardonnay – Sauvignon Blanc) : un vin vif et équilibré, parfait pour débuter la dégustation.
- Alma de Tannat Rosé : fruité, délicat, avec une jolie teinte saumonée.
- PIONERO Bonarda : un rouge souple, gourmand, qui annonce la montée en puissance à venir.
Ces trois vins sont accompagnés de gressins, fromages et jambon — des accords simples mais efficaces, qui permettent d’apprécier la subtilité de chaque cépage.
Seconde série : la dégustation “Gran Oro”
Vient ensuite le moment fort de la visite : la dégustation “Gran Oro”, où l’on entre dans le haut de gamme de la maison. Trois vins rouges, trois médaillés d’or, trois signatures différentes du Tannat.
- Tannat 2019 (Médaille Grand Or) : des notes de bleuets et de fruits noirs, un vin à la fois puissant et rond.
- Tannat Origen Single Vineyard (Médaille Grand Or 2017 et 2019) : plus structuré, plus profond, avec des arômes de mûre et une belle longueur.
- Juan Cruz Tannat Grand Reserve (Première Grande Médaille d’Or de Bolivie, 2013) : le joyau de la maison, d’une élégance rare.
Ce dernier est tout simplement exceptionnel : on y perçoit des notes d’olives noires, de cacao et de cuir, parfaitement équilibrées. Il se boit tout seul, même sans accompagnement. Un grand vin, subtil et racé, dont seules 8 000 bouteilles sont produites chaque année — aujourd’hui réservées uniquement aux dégustations premium.
Une expérience à recommander sans hésiter
La visite se conclut par un passage à la boutique de la finca, où l’on peut acheter des bouteilles, mais aussi quelques souvenirs à l’effigie de la maison.
On y trouve également de très bons vins à des prix raisonnables, mais — petite frustration — le Juan Cruz n’est plus commercialisé. Une raison de plus pour profiter de la dégustation sur place !
Je quitte la Finca El Origen avec le sentiment d’avoir découvert bien plus qu’un vignoble : un lieu où se mêlent passion, famille et fierté nationale.
